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La fable
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Un vieux Renard, mais des plus fins,
Grand croqueur de Poulets, grand preneur de Lapins,
Sentant son Renard d'une lieue,
Fut enfin au piège attrapé.
Par grand hasard en étant échappé,
Non pas franc, car pour gage il y laissa sa queue:
S'étant, dis-je, sauvé sans queue, et tout honteux,
Pour avoir des pareils (comme il était habile),
Un jour que les Renards tenaient conseil entre eux:
Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux?
Que nous sert cette queue? Il faut qu'on se la coupe:
Si l'on me croit, chacun s'y résoudra.
- Votre avis est fort bon, dit quelqu'un de la troupe;
Mais tournez-vous, de grâce, et l'on vous répondra.
A ces mots, il se fit une telle huée,
Que le pauvre écourté ne put être entendu.
Prétendre ôter la queue eût été temps perdu;
La mode en fut continuée.
Source : BNF Gallica
Les conseils pro by Jean DLF
Voici une fable aussi écourtée que son protagonniste.
La Fontaine y va à l'économie mais place en vingt vers :
- une présentation détaillée du personnage
- un premier événement (la prise au piège et l'échappée)
- le grand conseil, qui lui même se distingue en trois mouvements : l'argumentation de l'Ecourté, la délibération et le verdict.
On a peut-être là l'objet du coaching de la semaine : comment ne rien freiner de notre propos
Hauts potentiels
On prend l'habitude de vérifier le dernier vers de nos fables, surtout en l'absence de morale.
"La mode en fut continuée."
Le premier recueil des Fables est publié en 1669, soit trente ans environ après Le Discours de la Méthode et Les Méditations Métaphysiques dans lesquels Descartes présente sa théorie de la Création continuée : la création du monde ne se joue pas uniquement au moment T de l'apparition des choses, le phénomène se prolonge tant que la création perdure. Pour Descartes, la puissance créatrice (Dieu en l'occurrence) agit pour faire apparaître et pour maintenir l'ordre du monde. La création est donc continuée.
Ce vers suffit-il à rapprocher la fable de la théorie de la Création Continuée ?
Soit la mode est le fait des grands couturiers et de leurs créations.
Mais l'hypothèse se confirme par le motif du jugement dernier évoqué dans la fable :
- Cette assemblée de juges, ce haut conseil de renards, ce comité de direction ressemble beaucoup aux représentations des Enfers où l'on juge les âmes.
- Les renards rouquins y deviennent des agents du rouge Lucifer, et là, on peut tirer les diables par la queue.
- Enfin, on entend une telle huée semblable "aux pleurs et aux grincements de dents".
Donc, par ce dernier vers, La Fontaine nous rappelle à notre puissance créatrice. A l'égal des Dieux, nous sommes dotés de leur faculté de "continuer". Il nous positionne clairement en haut du tableau des Hauts Potentiels
Libérés, délivrés...
En bon Directeur des RH, La Fontaine va nous aider à libérer ce potentiel.
Il n'y va pas par quatre chemins : on a un renard brillant qui se libère en y laissant sa queue, laquelle est ensuite présentée sans ambage :
" Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux ?"
Le message du Coach est clair : il faut gagner sa liberté en se débarrassant de l'inutile. Mais la chose n'est pas toujours aisée à reconnaître : voyez comme la queue veut donner l'illusion de rendre service en "balayant tous les sentiers fangeux" !
Alors, Jean DLF établit sa taxonomie (ou typologie, mais les Big5 parlent de taxonomie maintenant, alors on essaie d'être à la page...) de nos inutilités :
- Les paroles inutiles : l'Écourté parle trop. 20% de la fable sont dédiés à son propos qui le mène à la ruine. Il se répète et son argumentation ne fait pas le poids ("Si l'on me croit, chacun s'y résoudra") voire éveille les doutes.
- Les actions inutiles : "que diable allait-il faire dans cette galère ?" L'Écourté est toujours admis au conseil des Renards. Il n'est pas mis au ban de la communauté : que va-t-il proposer ce plan bâclé ?
- Les pensées inutiles : car effectivement, c'est l'Écourté qui alimente sa honte. On ne lui a fait aucun reproche : il anticipe le point de vue de ses congénères, il présage faussement leur réaction. Il pense dans le vide et cela le conduit à sa perte.
La Fontaine nous propose donc une grille d'analyse personnelle : qu'est-ce qui est vain dans nos paroles, nos actions, nos pensées. Selon lui, il y a fort à parier que "francs de ces poids inutiles", nous exprimerons notre plein potentiel, prêts à nous faire
"Grand croqueur de Poulets, grand preneur de Lapins"
The Foxes
La Fontaine pose ensuite la question de l'équipe : quelles sont les pratiques que nous pouvons mettre collectivement en oeuvre pour libérer nos potentiels ?
Si la question des actions inutiles mérite d'être posée en équipe (lean management), celles des paroles (qui est plus une question de culture) et des pensées sont plus complexes à traiter.
La Fontaine fournit deux indicateurs concrets pour évaluer l'ouverture de l'équipe à son plein potentiel :
- La volonté de comprendre le point de vue de l'autre : l'Écourté n'est pas rabroué immédiatement, sa proposition est accueillie avec bienveillance malgré son caractère déroutant ("Votre avis est fort bon")
- La volonté de ne pas juger selon les apparences : on fait le tour de la question et on se donne un temps de réflexion avant de répondre.
Bonne pratique : pourquoi ne pas définir en équipe une grille d'évaluation de nos réunions ? A la fin de chaque meeting, on note la qualité des échanges sur une grille de critères rapides et décidés ensemble :
- Efficacité des prises de paroles
- Esprit d'ouverture à l'égard des propositions
- Temps consacré aux sujets
- ...
La Fontaine, préfigurateur du co-développement
La Fontaine ne cesse de nous étonner : il décrit ici un exercice de co-développement, une pratique d'intelligence collective qui permet d'identifier des solutions innovantes, au sein d'une équipe ou d'un groupe professionnel, grâce à une approche structurée.
Il s'agit pour un membre du groupe "client" d'exposer sa problématique devant les autres membres "consultants". Ceux-ci vont poser des questions de clarification puis vont échanger entre eux, sans s'adresser au client. Celui-ci écoute les débats et prend des notes, pour en faire une synthèse qui ouvrira de nouvelles perspectives et des potentiels inattendus.
Ici, La Fontaine décrit bien un client (l'Écourté) qui expose une problématique (les quatre vers de prise de parole) devant un conseil de consultants qui s'apprêtent à délibérer par eux-mêmes :
"Mais tournez-vous de grâce, et l'on vous répondra".
La Fontaine va jusqu'à souligner la bienveillance à la base de l'exercice par ce "de grâce" !
La citation
“Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux ?"
Le Renard ayant la queue coupée (V, 5)
Soyons courageux et débarrassons-nous de tout ce qui prend la poussière dans notre quotidien en entreprise : un process obsolète, une demande client évaporée, une habitude injustifiée, une posture que l'on croit obligée !
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