Rejoignez le Parcours "Penser son management avec Jean de La Fontaine" : en trois sessions prendre du recul sur son leadership et ancrer de nouvelles pratiques grâce à la lecture personnelle des Fables de La Fontaine.
La fable
Un Loup qui commençait d’avoir petite part
Aux brebis de son voisinage,
Crut qu’il fallait s’aider de la peau du Renard
Et faire un nouveau personnage.
Il s’habille en berger, endosse un hoqueton,
Fait sa houlette d’un bâton,
Sans oublier la cornemuse.
Pour pousser jusqu’au bout la ruse,
Il aurait volontiers écrit sur son chapeau :
C’est moi qui suis Guillot, Berger de ce troupeau.
Sa personne étant ainsi faite
Et ses pieds de devant posés sur sa houlette,
Guillot le sycophante approche doucement.
Guillot le vrai Guillot, étendu sur l’herbette,
Dormait alors profondément.
Son Chien dormait aussi, comme aussi sa musette.
La plupart des Brebis dormaient pareillement.
L’hypocrite les laissa faire,
Et pour pouvoir mener vers son fort les Brebis
Il voulut ajouter la parole aux habits,
Chose qu’il croyait nécessaire.
Mais cela gâta son affaire,
Il ne put du Pasteur contrefaire la voix.
Le ton dont il parla fit retentir les bois,
Et découvrit tout le mystère.
Chacun se réveille à ce son,
Les Brebis, le Chien, le Garçon.
Le pauvre Loup dans cet esclandre,
Empêché par son hoqueton,
Ne put ni fuir ni se défendre.
Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.
Quiconque est Loup, agisse en Loup ;
C’est le plus certain de beaucoup.
Source : Institut de France
Les conseils pro de Jean DLF
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Confusion & Distinction
La fable déploie deux volets autour de ce dyptique : la notion de confusion est intimement liée au problème, quand la distinction (au sens de typologie, claire appréciation de chaque chose) est attachée à la solution.
Toute la première partie du texte évoque la (con)fusion des choses dans une synthèse qui finit par être invraisemblable :
- Le Loup se fond dans "la peau du Renard" (c'est-à-dire qu'il veut ruser)
- Le Loup se fond ensuite par couches successives dans les bottes du Berger
- Les autres protagonistes se fondent eux dans un commun sommeil
- Ce qui permet au Loup de se fondre dans la masse des Brebis :
"Guillot le sycophante approche doucement"
En revanche, la lumière sur l'affaire se fait dans un sursaut de distinction :
- L'indidualité est soulignée : "chacun se réveille à ce son"
- On énumère les protagonistes : "Les Brebis, le Chien, le Garçon"
- L'outil de la confusion chez le Loup (sa casaque) fait sa perte : "empêché par son hoqueton".
La Fontaine nous invite donc à examiner notre rapport aux contextes : sommes-nous satisfait d'une vision confuse et mêlée des situations, ou sommes-nous en capacité de mener une analyse détaillée pour en révéler la profondeur ?
Pleines consciences
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Dès lors, il ne faut pas réduire la morale trop rapidement à la seule critique du Loup.
"Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre"
La Fontaine joue avec le mot "Fourbes" (au pluriel) pour renvoyer à deux composantes de l'alignement :
- Fourbe/Traître : Il ne faut pas tromper son monde, comme a tenté de le faire le Loup. Il ne faut pas vouloir forcer sa nature de Loup, en faisant soit le Renard (qui fait le malin tombe dans le ravin) soit le Berger (en prenant la parole). Il faut répondre à sa propre nature.
- Fourbe/Fourbu : au diable la fatigue, il faut également être éveillé, pleinement conscient pour ne pas "se laisser prendre".
- Fourbe/Fou+rbe : le Berger, le Chien et les Brebis ne sont-ils pas fous de dormir tous ? Le Loup n'est-il pas fou de prendre la parole ?
La Fontaine nous appelle donc à vérifier les niveaux de notre conscience tout au long de notre journée de travail :
- conscience morale : sommes-nous en train de "faire un personnage" ?
- conscience physique : sommes-nous éveillés et en pleine capacité ?
- conscience rationnelle : sommes-nous inconscients dans l'élaboration de nos plans d'actions parfois trop ambitieux (ici "ajouter la parole aux habits, chose qu'il croyait nécessaire").
Tous responsables
Le "Berger" ou le "Pasteur", dans la tradition de La Fontaine, sont des figures christiques, et donc il en va du guide, du chef suprême, du big boss.
Il s'agit donc ici d'un quidam qui veut prendre la place du patron. Le fabuliste décrit ainsi en creux les conditions de l'autorité ou les spécificités d'un chef.
La Fontaine liste les attributs du pouvoir qui ne sont en réalité d'aucune efficacité :
- l'habit ("Il s'habille en Berger")
- l'outil ("Fait sa houlette d'un bâton")
- le titre ("Il aurait volontiers écrit sur son chapeau : C'est moi qui suis Guillot, Berger de ce troupeau").
Rien de tout cela fait une fondation solide à l'exercice du pouvoir qui nécessite selon La Fontaine :
- un haut niveau de conscience (voir plus haut)
- une parole crédible ("Il ne put du Pasteur contrefaire la voix")
- des troupes éveillées (ou bien un troupeau), Chien et Brebis
L'autorité ne tient donc pas uniquement à la posture du leader, mais également dans les dispositions des équipes. La bonne marche de l'organisation tient communément aux Bergers et aux Brebis.
Or il est aisé de démontrer que nous sommes tous susceptibles de perdre en attention : tous les protagonistes de la fable se font prendre, le choix de Guillot comme patronyme universel, la dimension théâtrale qui nous berce, nous lecteurs, et nous fait accroire à un loup devenu berger...
La Fontaine signe donc un appel : dans nos organisations, à tous niveaux, soyons vigilants et pleinement conscients !
La citation
“Il voulut ajouter la parole aux habits,
Chose qu'il croyait nécessaire."
Le Loup devenu berger (III,3)
Toutes nos prises de parole en entreprise sont-elles nécessaires ?
Comment juger de la nécessité des choses et des actions ?
Vaste sujet de réflexion que La Fontaine nous invite ici subtilement à investiguer...
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