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La fable
Les conseils pro de Jean DLF
Le propre d’une fable est de mettre en relief un dysfonctionnement pour en tirer des enseignements. La semaine passée, La Fontaine évoquait le manque de collaboration dans L’Âne et le Chien. Plus tôt encore, c’était la perception biaisée de nos talents dans Le Lièvre et la Tortue.
Ici, quels sont les dysfonctionnements relevés ?
A première vue, Jean de La Fontaine pointe uniquement l’Âne qui s'enorgueillit de sa haute contribution au succès de la chasse.
Une deuxième lecture, plus empreinte d’actualité, accuserait le manque de modération du lion :
“(…) tous tombaient au piège inévitable
Où les attendait le Lion”.
Tandis qu’on comprend de mieux en mieux que nos ressources sont limitées, ce manque de mesure serait clairement en accusation aujourd’hui.
Or c’est comme si une mécanique implacable œuvrait à ce résultat.
La fable est courte, les faits s’enchaînent et le peu de conscience finalement exprimé par l’Âne est fustigé par l'ironie du lion.
L’intrigue
La Fontaine place au quatrième vers une bizarrerie :
“Le gibier du Lion, ce ne sont pas Moineaux ;
Mais beaux et bons Sangliers, Daims et Cerfs bons et beaux.”
Bizarrerie dans la répétition en miroir de “beaux et bons” / “bons et beaux”.
Evidemment aucun hasard du fabuliste et une invitation à construire notre propre interprétation du propos.
A nous de choisir parmi la polysémie des deux termes répétés : est-ce que “beau” décrit les caractéristiques physiques (la grosseur) ou esthétiques (la beauté) des animaux ? Est-ce que “bons” relève de leur saveur ou bien de leur bonté ?
A nous de choisir entre une lecture matérialiste ou morale de la fable.
Le choix des animaux nous donne peut-être une indication du parti de La Fontaine : le Sanglier est dans la matière, mais Daims et Cerfs font référence à un univers plus onirique et religieux. Dans la Légende de Saint Hubert, le Cerf porte la divinité. Les fables tirent leurs origines de la lointaine littérature indienne : les Daims sont là-bas aussi les véhicules du spirituel (libre à chacun ensuite de faire apparaître des bonzes bouddhistes dans la liaison “bons et beaux”...).
En somme, le propos du lion aurait pu être une quête spirituelle sous les mêmes dehors de la chasse. Tout nous porte à croire qu'il en reste à l’amas de la quantité couronné de persiflage. Mais nous-même, dans la matérialité de nos missions en entreprise, savons-nous y distinguer une dimension méta (au-delà) physique ?
Tous solidaires
Or chacun semble contribuer à cette mécanique implacable de gâchis.
Ne sommes-nous jamais des leaders à l’image du Lion ?
- Aucune vision partagée avec l’Âne
- “Je commande, il exécute”
- Le caprice comme gouverne
- Aucune reconnaissance de la performance de l’Âne
Sommes-nous parfois des équipiers semblables à l’Âne ?
- Aucune participation à l’élaboration du plan d’actions
- Aucune initiative dans l’exécution
- Aucune parole, si ce n’est pour réclamer des “honneurs”
Et puis, à la fin, ne nous arrive-t-il jamais de nous comporter comme les “hôtes des bois” ?
- Ils agissent dans la peur
- Ils ne vérifient pas les faits
- Ils ne collaborent pas pour trouver une solution au péril.
Toute cette société, dans le récit de La Fontaine, contribue au gâchis.
Chaque protagoniste se trouve en partie responsable du drame.
Changer une équipe qui perd
Ce que décrit La Fontaine, c’est en réalité le dysfonctionnement d’une équipe.
C’était chouette de voir un lion faire équipe avec l’âne : c’est annoncé dès le titre.
Encore un titre qui joue sur la surprise, sur le hiatus, sur la disjonction de notre esprit.
Le hic, c’est que l’association coche tous les problèmes qu’un Patrick Lencioni énumère dans son best-seller “The five dysfunctions of a team”.
Pour Lencioni, toute équipe est sous la menace d’une succession de dysfonctionnements :
- Le manque de confiance (entraîne...)
- La peur du conflit (qui entraîne...)
- Le manque d’engagement (…)
- L’absence de responsabilité collective (…)
- L’inattention aux résultats (…)
Inattention aux résultats ? En effet, le Lion et l’Âne sont loin de se préoccuper de réussite collective. L'un est centré sur son manger et son pouvoir. L'autre sur son ego de stentor.
Absence de responsabilité collective ? Aucun debriefing entre les deux loustics sur ce qui a fonctionné et ce qui ne l’a pas. Aucun retour d’expérience, aucune évaluation, aucun point de progrès ou risque identifié.
Manque d’engagement ? Ce point est discutable dans la fable. En effet, le Lion est à son “affaire” et l’Âne semble tout donner : pour plaire à son roi, l’Âne se fait rockstar sur la scène du Parc des Princes. Mais l'un et l’autre sont isolés et ne s’engagent pas dans une équipée.
Peur du conflit ? Dans cette histoire, on a un stentor herbivore qui collabore avec un carnivore... La peur du conflit est légitime. Elle est potentiellement à double-sens, puisque le Lion mate immédiatement tout velléité de puissance de la part de l’Âne.
Le manque de confiance ? Notons l’absence totale de vulnérabilité exprimée entre les deux comparses. Le Lion ne ferait rien sans l’Âne, et vice-versa. Jamais la notion d’entraide quasi-fraternelle, forgée dans un dessein commun, n’est évoquée.
Insérer/Caractère spécial
Peut-être le coaching de Jean DLF aujourd’hui est-il une invitation à faire “l’Âne fanfaron", à sortir de nos “caractères” établis pour gripper la mécanique infernale.
“Encor qu’on le raillât avec juste raison :
Car qui pourrait souffrir un Âne fanfaron ?
Ce n’est pas là leur caractère.”
La juste raison recommande de rester à la place assignée, d’obéir à l’ordre reçu : finalement, la collaboration entre le Lion et l’Âne s'avère particulièrement efficace.
Mais c’est aussi parce que l’Âne prendra l’initiative de passer du Cor à la Fanfare, de mettre un peu de musique et d’esthétique dans son action qu’il éveillera “le Roi des animaux” à la dimension qui lui échappe. #managetonboss
N’oublions pas que c’est une bizarrerie qui d’emblée donne un sens nouveau à la fable.
La citation
“Le gibier du Lion, ce ne sont pas Moineaux ;
Daims et Cerfs bons et beaux.”
Mais beaux et bons Sangliers,
En direction d'équipe, il nous revient parfois de voir grand, sans toutefois avoir les yeux plus gros que le ventre. Surtout, La Fontaine nous dit qu'il nous revient toujours de voir au-delà.
Tous droits réservés (c) - Alexis Milcent pour LibriSphaera
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