La Fable
Les conseils pro de Jean DLF
A quoi tient la renommée de cette fable ? Pourquoi celle-ci plutôt qu'une autre ?
Peut-être est-ce la personnalité opposée des personnages mise en valeur par leur physiognomonie (c'est-à-dire la parfaite adéquation entre leur physionomie et leur caractère, un truc qu'adorait Balzac) qui a donné lieu à une riche iconographie et à une longue postérité cinématographique.
La morale, placée en incipit, en paraît simple ("Rien ne sert de courir ; il faut partir à point") et utile à tous les âges.
Trop simple ?
La gestion du projet
Oui, rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Il faut partir à l'heure pour l'école et commencer le ppt pour le rendez-vous client au moins quelques heures auparavant...
Mais, dans un monde en turpitude, est-ce toujours d'actualité ? Dans des contextes d'entreprise où la gestion du temps est contamment bousculée par les imprévus et les aléas, peut-on en rester à cette maxime ?
Le dernier vers, comme souvent, élargit la réflexion.
"Moi l'emporter ! et que serait-ce / Si vous portiez une maison ?"
Porter une maison, c'est avoir la responsabilité d'une collectivité, qu'elle soit familiale (la maisonnée) ou entrepreneuriale (ne parle-t-on pas de "Maison" pour évoquer une entreprise : la Maison Drans, la Maison Kayser, la Maison Landemaine...).
En remontant le texte, on s'aperçoit que La Fontaine nous aura pas à pas extirpés d'une compréhension trop étriquée du premier vers :
"(...) l'autre touchait presque au bout de la carrière"
Ce que joue la Tortue, c'est ni plus ni moins que son parcours de vie. On est déjà loin d'une leçon sur la ponctualité. On cherche une philosophie de vie qui nous permette de laisser une trace.
La gestion des talents
Dès lors, Jean DLF nous parle de talents : "De quoi vous sert votre vitesse ?"
La fable éclaire plusieurs attitudes relatives à notre "configuration naturelle" :
- La Tortue sort de sa carapace pour se surpasser. Contrairement à l'Albatros de Baudelaire ("Ses ailes de géant l'empêchent de marcher"), la Tortue décide d'augmenter ses capacités.
- Le Lièvre, gâté, se gâte au gîte : "l'animal léger" est dans une attitude inverse : au lieu de s'augmenter, il met à profit ses facilités pour se diminuer. Non seulement il perdra, mais il n'aura rien créé dans ce laps de temps : il consomme, "il broute, il se repose, il s'amuse à tout autre chose".
Dans cette affaire, il est question de regard : quel regard posons-nous sur notre propre talent, et le talent d'autrui ?
- Le Lièvre se montre dédaigneux du pari de la Tortue.
- La Tortue est particulièrement assertive malgré sa disposition.
- Elle-même ne manque pas de narguer le Lièvre à l'arrivée. A moins qu'elle ne se pose en rôle-modèle pour le mammifère.
La gestion de soi
Avec un certain talent en effet, Jean DLF nous fait comprendre que nous sommes tendanciellement du côté du Lièvre :
- Voyez comme il nous emmène avec l'Animal léger dès que le pari est pris : on évoque les gains, les talents du Lièvre, ses occupations. Onze vers pendant lesquels la Tortue est déjà partie :
"(...) il laisse la Tortue / Aller son train de sénateur."
- Du reste, la Tortue est peu décrite : seulement deux petits vers nous parlent de sa démarche :
"Elle part, elle s'évertue ; / Elle se hâte avec lenteur."
- Enfin, La Fontaine insiste sur les traits du Lièvre. Il répète presque mot à mot les activités du velu : "pour brouter, pour dormir, pour écouter d'où vient le vent" <=> "Il broute, il se repose, il s'amuse". Le mot "gageure" revient également deux fois.
La Fontaine marque le pli, enfonce le clou : nous sommes Lièvres, capables de hauts faits quand nous sommes harcelés par la crise ("J'entends de ceux qu'il fait lorsque prêt d'être atteint"). Mais nous avons un penchant naturel à la paresse et à la procrastination en temps normal.
Jean DLF nous alerte : comme la Tortue est dotée d'une carapace, nous sommes enclins à nous ratatiner au quotidien.
Et comme à son habitude, il utilise les deux personnages pour établir une morale seconde :
- Nous sommes, comme le Lièvre, dotés d'une nature qui nous ralentit, attirés que nous sommes par les illusions du temps en abondance, des honneurs, des talents trop faciles.
- Mais, comme la Tortue, nous pouvons surpasser notre nature, augmenter nos capacités en osant le défi, en mesurant nos progrès, en faisant preuve de détermination obstinée.
- Alors nous pouvons reprendre le meilleur du Lièvre, car il y a fort à parier que La Fontaine aimait à "écouter d'où vient le vent"...
Tous droits réservés (c) - Alexis Milcent pour LibriSphaera
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