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La Fable
« Qu'ai-je fait pour me voir ainsi
Mutilé par mon propre Maître ?
Le bel état où me voici !
Devant les autres chiens oserai-je paraître ?
Ô rois des animaux, ou plutôt leurs tyrans,
Qui vous ferait choses pareilles ? »
Ainsi criait Mouflar, jeune dogue ; et les gens
Peu touchés de ses cris douloureux et perçants,
Venaient de lui couper sans pitié les oreilles.
Mouflar y croyait perdre. Il vit avec le temps
Qu'il y gagnait beaucoup ; car étant de nature
À piller ses pareils, mainte mésaventure
L'aurait fait retourner chez lui
Avec cette partie en cent lieues altérée :
Chien hargneux a toujours l'oreille déchirée.
Le moins qu'on peut laisser de prise aux dents d'autrui,
C'est le mieux. Quand on n'a qu'un endroit à défendre,
On le munit, de peur d'esclandre.
Témoin maître Mouflar armé d'un gorgerin,
Du reste ayant d'oreille autant que sur ma main ;
Un loup n'eût su par où le prendre. »
Source : www.poetica.fr
Les conseils pro de Jean DLF
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Pour Jean DLF, nous sommes tous dans les mêmes affres et il nous guide en une série d’aphorismes.
A voir comment nous en tirons le meilleur en entreprise...
La descente aux Enfers
Qui dit Molosse dit Cerbère, le chien à trois têtes gardien des Enfers dans la mythologie antique. Notre Mouflard en est peut-être le mouflet : Hercule a vaincu Cerbère en le prenant à la gorge, ce n'est pas pour rien que le doge porte un gorgerin.
On est donc bien dans une intertextualité relative à la descente, au gouffre, à l’abime.
Or le texte, étonnamment, décrit les principales étapes de la fameuse courbe d’acceptation du changement de Elizabeth Kubler Ross.
En 1969, la psychanalyste établit que, en cas de changement majeur, par exemple le deuil, nous passons par cinq étapes : le déni, la colère, la négociation, la dépression, l’acceptation.
Ce qui est valable pour le deuil est valable pour tout événement perturbateur dans les organisations.
=> Remarquez comment Mouflard passe par chacune de ces étapes, descendant le long de la courbe en U pour finalement remonter vers l’expérimentation et l’acceptation.
Nous sommes tous Mouflar : dans ce monde agité, où nous positionnons-nous sur cette courbe face aux événements qui affectent notre travail ?
Condensée
La violence de la fable est renforcée par sa concision : 21 vers.
Pourtant, on ne dénombre pas moins de quatre morales.
Comme si, dans les montagnes russes de ce monde chahuté, La Fontaine voulait nous fournir un équipement de survie.
Et comme on comprend à la fin du texte que ce monde est le nôtre, il faut remonter la fable et relire ces morales en sens inverse :
“Quand on n’a qu’un endroit à défendre, on le munit de peur d’esclandre”
“Munir” signifie ici “armer pour la défense” - penser à “munitions”.
- Quel est cet endroit que nous voudrions défendre ?
- Quel est ce saint des saints que nous voudrions protéger ?
- Quel ce cœur du cœur qui est intangible et non négociable ?
- En d’autres termes, comment nous protégeons-nous de franchir notre ligne rouge ?
“Le moins qu’on peut laisser de prises aux dents d’autrui,
C’est le mieux.”
Une morale à double tranchant :
- Comment est-ce que je m’applique à être irréprochable ?
- Comment est-ce que j’évite de prêter l’oreille (puisqu’on me l’a coupée...) aux qu’en-dira-t-on ?
Et donc comment j’établis des maximes d’actions concrètes qui dérivent de mon cœur du cœur ?
“Chien hargneux a toujours l’oreille déchirée.”
L’action mène à l’accident. Il n’est de batailles sans estafilade.
- Sommes-nous prêts à ces concessions ?
- Acceptons-nous cet engagement ?
“Il vit avec le temps qu’il y gagnait beaucoup”
A-t-on cette posture de sagesse qui n’est pas dans le jugement immédiat des apparences, mais dans une analyse du temps long ?
Jean de La Fontaine propose donc un système de morales à rebours du texte pour ce monde violent par nature :
- Sauvegarder l’essence de soi
- Définir ses maximes d’actions
- Accepter les blessures
- Se positionner dans le temps long
Le primat de la connaissance
Une des spécificités de cette fable est qu’on en attend le milieu pour comprendre la situation.
Il faut patienter jusqu’au vers 9 (sur 21) pour apprendre qu’on vient de couper les oreilles du molosse.
S’ensuivent ensuite deux vers, qui constituent l’exact milieu de la fable, où l’on évoque la croyance (fausse) et la compréhension (exacte) :
“Mouflar y croyait perdre : il vit avec le temps
Qu’il y gagnait beaucoup”
Nous sommes au milieu de la fable, au fond du gouffre.
C’est la connaissance qui nous permet de passer de la croyance à la compréhension, et donc à l’action.
Selon Jean DLF, c’est la connaissance qui nous permet de remonter la courbe d’acceptation du changement.
Dès lors, un moyen de faire face à ce monde violent par nature, c’est de s’appuyer sur des connaissances robustes :
- Où en sommes-nous sur ce point ?
- Sommes-nous en état de formation permanente ?
La citation
"Chien hargneux a toujours l'oreille déchirée"
Le Chien à qui on a coupé les oreilles.
Livre X, Fable VIII
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