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La fable
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« Le Buisson, le Canard et la Chauve-souris,
Voyant tous trois qu’en leur pays
Ils faisaient petite fortune,
Vont trafiquer au loin, et font bourse commune.
Ils avaient des comptoirs, des facteurs, des agents
Non moins soigneux qu’intelligents,
Des registres exacts de mise et de recette.
Tout allait bien; quand leur emplette,
En passant par certains endroits,
Remplis d’écueils, et fort étroits,
Et de trajet très difficile,
Alla tout emballée au fond des magasins
Qui du Tartare sont voisins.
Notre trio poussa maint regret inutile ;
Ou plutôt il n’en poussa point ;
Le plus petit marchand est savant sur ce point
Pour sauver son crédit, il faut cacher sa perte.
Celle que, par malheur, nos gens avaient soufferte
Ne put se réparer le cas fut découvert.
Les voilà sans crédit, sans argent, sans ressource,
Prêts à porter le bonnet vert.
Aucun ne leur ouvrit sa bourse.
Et le sort principal, et les gros intérêts,
Et les sergents et les procès,
Et le créancier à la porte
Dès devant la pointe du jour,
N’occupaient le trio à chercher maint détour
Pour contenter cette cohorte.
Le Buisson accrochait les passants à tous coups.
« Messieurs, leur disait-il, de grâce, apprenez-nous
En quel lieu sont les marchandises
Que certains gouffres nous ont prises.»
Le Plongeon sous les eaux s’en allait les chercher.
L’oiseau Chauve-Souris n’osait plus approcher
Pendant le jour nulle demeure
Suivi de sergents à toute heure,
En des trous il s’allait cacher.
Je connais maint detteur qui n’est ni Souris-Chauve,
Ni Buisson, ni Canard, ni dans tel cas tombé,
Mais simple grand seigneur, qui tous les jours se sauve
Par un escalier dérobé.»
Source : www.poetica.fr
Les conseils pro by Jean DLF
Premier cas dans l’histoire de La Fontaine & Cie : le fabuliste ne termine pas l’histoire.
Nous avions eu la fable sans morale.
Voici la fable sans fin.
Et la chute en est étrange : voilà qu'un grand seigneur nous tombe dessus.
Un récit homérique
Si la fable est sans fin, serait-ce qu’elle continue ?
Le Buisson, le Canard, la Chauve-Souris seraient-ils toujours occupés à rechercher leurs marchandises ?
Or il est courant de voir un buisson accrocher les vêtements d’un promeneur, un canard plonger, une chauve-souris s’échapper quand vient le jour...
Dès lors, la fable prend une fonction mythologique : comme le récit d’Apollon sur son char explique le mouvement apparent du soleil, le texte de La Fontaine propose une explication à l’état du monde tel qu’il est aujourd’hui.
D’ailleurs, La Fontaine ne manque pas de parsemer son texte de références : le lointain, le voyage, les écueils, le Tartare - sous-bassement des Enfers dans la mythologie grecque -, la ruse, les adversités...
Tout, sauf les trois héros, nous rapporte subtilement aux récits homériques.
L'entreprise vécue comme aventure
Par un jeu de clair-obscur opposant les trois héros au Seigneur final, Jean DLF établit comme un principe de vérité général que l’entreprise est une aventure.
Nos trois protagonistes, résolus sur leur destin, vont de péripéties en rebondissements : le départ, l’établissement, l’effondrement, la solution, l’échec... La Fontaine déploie l’arc narratif sur 90% de la fable. Chaque jour de cette vie au grand air semble unique.
En revanche, il ne consacre que deux vers au “grand seigneur”, qui semble enfermé dans la routine de “tous les jours” et dans l'espace clôt d’un “escalier dérobé”.
La Fontaine nous invite : l’entreprise est une odyssée, et nous pouvons tous y prendre part puisque même un buisson est du voyage.
Les Ulysse des temps modernes ne sont pas les “grands seigneurs” d’Ithaque et chacun peut se hisser à ce rang.
Jeu de rôles
Dès lors, si le grand Seigneur de la fable n’est pas Ulysse, si Buisson, Canard et Chauve-souris sont des héros intrépides, qui sommes-nous ?C’est la question que pourrait nous poser Jean DLF.
Car dans son schéma narratif, son schéma actanciel, La Fontaine positionnedes héros, des anti-héros mais également des “cohortes” d’opposants et d’alliés qui se révèlent dans l’adversité.
Lors d’une prochaine réunion houleuse, prenons un peu de recul et identifions si nous sommes comme :
- Le Buisson qui cherche ouvertement une solution en partageant largement le problème
- Le Canard qui cherche une solution dans son coin (coin)
- La Chauve-Souris qui préfère enterrer le problème
- Les Facteurs ou Agents “non moins soigneux qu’intelligents”, qui font et agissent en soutien aux leaders
- Les Sergents ou Créanciers qui récriminent et tambourinent
Et dans cette myriade de postures, il ne faut pas oublier “Aucun”, de ceux qui n’ouvrent pas leur bourse aux entrepreneurs désavoués par le sort.
Dès lors, Jean DLF nous aide une nouvelle fois à interroger notre pratique en entreprise.
En énonçant que l’entreprise est par nature une odyssée dont nous sommes les personnages, il nous invite à y prendre notre place et veut nous rassurer :
- De meilleurs que nous sont en réalité plus bas à force de descendre “l’escalier dérobé”
- De moins bons que nous (Buisson, Canard et Chauve-Souris) sont parvenus à des succès
- Il nous revient donc de choisir les bons rôles parmi Ulysse et ses alliés.
La citation
"Notre Trio poussa maint regret inutile,
Ou plutôt il n'en poussa point"
La Chauve-Souris, le Buisson et le Canard
Livre XII, Fable VII
Utile pour clouer le bec aux oiseaux de malheur qui regrettent la décision validée par tous ou l'issue incertaine d'un projet. Le Canard ne se plaint pas et il a tenté l'aventure, lui !
Tous droits réservés (c) - Alexis Milcent pour LibriSphaera
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