Le texte
DOM JUAN.- Quoi qu’il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d’aimable, et dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire par cent hommages le cœur d’une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu’on y fait ; à combattre par des transports, par des larmes, et des soupirs, l’innocente pudeur d’une âme, qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu’elle nous oppose, à vaincre les scrupules, dont elle se fait un honneur, et la mener doucement, où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu’on en est maître une fois, il n’y a plus rien à dire, ni rien à souhaiter, tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour ; si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d’une conquête à faire. Enfin, il n’est rien de si doux, que de triompher de la résistance d’une belle personne ; et j’ai sur ce sujet l’ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs, je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.
SGANARELLE.- Vertu de ma vie, comme vous débitez ; il semble que vous ayez appris cela par cœur, et vous parlez tout comme un livre.
DOM JUAN.- Qu’as-tu à dire là-dessus ?
SGANARELLE.- Ma foi, j’ai à dire, je ne sais que dire ; car vous tournez les choses d’une manière, qu’il semble que vous avez raison, et cependant il est vrai que vous ne l’avez pas. J’avais les plus belles pensées du monde, et vos discours m’ont brouillé tout cela ; laissez faire, une autre fois je mettrai mes raisonnements par écrit, pour disputer avec vous.
Source : toutmoliere.net
Les conseils pro by Jean DLF
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Voyons donc ce que Molière nous dit de l'entrepreneur lorsqu'il évoque l'entreprenant...
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Le texte de Molière met assez vite en relief que Dom Juan utilise notre vocabulaire de prospection commerciale. Il est bien question de "conquêtes", et puisqu'il n'est affaire de "fidélisation", cela ressemble en tout point à de "l'acquisition", comme l'évoque la préemption des territoires par Alexandre.
De même, on est bien dans un phénomène d'offre et de demande :
"... dès qu'un beau visage me le demande,
si j'en avais dix mille, je les donnerais tous."
Enfin, nous assistons en direct à un plaidoyer, à une séance de vente. Le discours de son maître vient convaincre Sganarelle qui en est tout retourné à la fin de l'extrait. Dom Juan parvient à troubler le sens commun de son serviteur par le pouvoir de sa parole. C'est un premier "petit progrès" fait par Dom Juan dans le coeur de Sganarelle.
Dès lors, nous pouvons relire l'extrait en cherchant dans le propos les traits de l'entrepreneur comme de l'intrapreneur.
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Si Dom Juan recherchait un acolyte, voici, selon sa tirade, ce que serait la fiche de poste :
- Mettre en place les indicateurs nécessaires au pilotage du projet. En effet, le maître de stage veut voir l'avancée des travaux par période régulière - ça sent le briefing matinal, avec revue des métriques :
"...voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait..."
- Construire une stratégie marketing à 360°. Dans son approche, Dom Juan s'adresse successivement aux différents registres de la personne. Il s'adresse d'abord au coeur, en évoquant "l'âme qui a peine à rendre les armes". Puis il traite du corps en venant "forcer pied à pied toutes les petites résistances" (champ lexical de la matérialité et de la mécanique). Enfin il veut "vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur", traitant ainsi de l'esprit. Âme / Esprit / Corps, c'est un marketing complet pour conquérir le client.
- Itérer le déploiement opérationnel. "Hommages", "transports", "larmes", "soupirs" sont les leviers successifs mis en oeuvre par Dom Juan. Nuances subtiles entre chaque : les leviers tactiques sont testés afin d'optimiser les résultats.
- Esquisser la vision du projet. Intéressant, Dom Juan n'est pas un grand stratège : il est dans l'action et dans le faire. Il établit une cible (client) et son objectif est de "la mener doucement où nous avons envie de la faire venir". Il y a donc bien une destinée, du registre du désir plus que de la volonté étayée chez Dom Juan, et une mise en action immédiate.
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Pour mener à bien ces missions, Dom Juan décrit les qualités nécessaires aux candidats :
- Être absolu : il se consacrera à 100% à la conquête, il se donnera tout entier ("si j'en avais dix mille, je les donnerais tous").
- Être pionnier : il aura le goût du nouveau et sera attiré par l'innovation :
"Les inclinations naissantes, après tout,
ont des charmes inexplicables"
- Être besogneux : il reviendra cent fois sur le métier pour réitérer ses efforts jusqu'à la conquête finale ("...réduire, par cent hommages, le coeur d'une jeune beauté").
La citation
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Redécouvrons le plaisir de l'écriture manuelle,
cela fera partie du parcours "Penser son management avec La Fontaine" !
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